Le marché européen des paiements traverse actuellement une phase des plus importantes. Réglementation, innovation ou encore nouvelles technologies favorisent de multiples promesses pour cet écosystème en développement. Mais une question reste en suspens : comment concilier évolution des paiements et inclusion numérique en Europe ?
Plusieurs logos de monnaies numériques défilant sur un écran digital

Nouvelle étape primordiale pour l’évolution des usages en matière de paiement en Europe, la phase post-Covid a été décisive pour l’avènement des transactions électroniques. En effet, selon le rapport « Study on the payment attitudes of consumers in the euro area » (SPACE 2022), réalisé à partir de données collectées dans 17 pays de la zone euro entre octobre et décembre 2021, et présenté fin décembre 2022 par la Banque centrale européenne (BCE), la carte de paiement représente désormais la plus grande part des transactions en Europe : 46%, contre 42% pour les espèces. Cela signifie que si le cash reste utilisé en proximité, il l’est essentiellement pour des transactions de faible montant.

 

Une situation qui contraste avec les chiffres observés en 2016 et 2019 : la part des espèces était alors plus importante que celle de la carte en valeur (54% contre 39% en 2016 et 47% contre 43% en 2019). De quoi refléter une nouvelle étape dans le passage aux transactions électroniques du côté des consommateurs européens. Parmi les succès les plus marquants : la carte de paiement sans contact, qui a dépassé en juillet 2024, en France, le plafond des 50 euros grâce au déploiement progressif de l’initiative de Cartes Bancaires CB « Sans contact + », ainsi que le wallet, qui s’est fortement développé en Espagne avec Bizum (24 millions d’utilisateurs) et au Portugal avec MB Way (5 millions d’utilisateurs). Ces réalités confirment que le marché européen des paiements a franchi un nouveau chapitre de son histoire, caractérisé par le développement des usages électroniques.

 

Le cash, un facteur d’inclusion

Malgré cette évolution, certains consommateurs restent éloignés du paiement électronique pour des raisons allant des aspects générationnels aux aléas économiques en passant par des enjeux en termes d’appétence. Cette tendance, qui se veut commune aux différents Etats européens – y compris ceux traditionnellement plus matures à l’égard du digital comme le Luxembourg et la Suède – explique que malgré la volonté de développer le paiement électronique – considéré comme plus sécurisé – le maintien d’une filière fiduciaire solide s’avère important pour les consommateurs.

 

Parmi les segments de consommateurs les plus touchés par la problématique de l’exclusion du paiement numérique figurent notamment les populations âgées qui ont vécu la majeure partie de leur vie sans Internet et qui peuvent se trouver dépassées par les usages numériques, dont ceux liés au paiement. Mais ce n’est pas tout. A ces populations s’ajoutent également des consommateurs souffrant de handicap, ou encore des segments précaires, voire marginaux, n’ayant pas les moyens d’acquérir les instruments propices aux usages numériques (comme les smartphones) ou étant exclus des circuits financiers traditionnels. Enfin, n’oublions pas les réfractaires au numérique, population représentée comme étant a priori en capacité d’effectuer des transactions électroniques mais réfractaire à l’idée d’évoluer vers le paiement digital pour des raisons diverses allant de la crainte en matière de sécurité à des préoccupations environnementales, ou en termes de privacy. Dès lors, comment accompagner l’avènement des paiements électroniques en incluant ces populations

 

Accompagnement dédié

Un constat s’impose : les professionnels du paiement sont tous conscients de cette réalité et intègrent, dans leurs réflexions, le sujet de l’inclusion numérique comme un facteur essentiel pour l’évolution du marché. Parmi les partis pris évoqués au sein de l’écosystème européen des paiements figure notamment l’impossibilité d’envisager le « tout électronique » en matière de paiement, le maintien de l’accès aux espèces demeurant un gage d’inclusion. Autre prérequis : la nécessité d’accompagner, de façon spécifique, ces segments de clients. Parmi les exemples émanant de l’actualité figurent notamment les mesures de certaines entités financières pour accompagner spécifiquement les personnes âgées, ou encore les travaux de l’écosystème des paiements français pour assurer l’accessibilité des moyens de paiement pour les populations souffrant de handicap, dans le contexte de la future entrée en vigueur de la directive européenne sur l’accessibilité.

 

L’inclusion numérique : une « responsabilité partagée »

Ainsi, l’ensemble des acteurs du marché des paiements nourrissent une forte implication en matière d’inclusion numérique et s’avèrent convaincus que le sujet ne doit pas être porté par une typologie d’acteurs en particulier car il s’agit d’une « responsabilité partagée », ce qui signifie que tous les professionnels du marché ont un rôle à jouer dans cet engagement. D’un point de vue prospectif, les réflexions en cours portent notamment sur la nécessité d’intégrer le thème de l’inclusion numérique dès le démarrage des travaux et de concevoir les moyens de paiement selon un principe d’inclusion « by design » plutôt que de définir des alternatives a posteriori. Une autre piste de réflexion porte sur le rôle que les pouvoirs publics pourraient jouer dans ce domaine, comme incitateurs d’un véritable engagement politique sur ce sujet. Enfin, dans un écosystème des paiements foncièrement paneuropéen, la collaboration entre Etats membres s’avère également nécessaire, l’inclusion numérique étant, certes, travaillée par l’ensemble des écosystèmes nationaux, mais de façon relativement différente selon les réalités économiques, politiques et sociologiques des différents Etats européens. .

  

Rédigé par Andréa TOUCINHO, Directrice Etudes, Prospective et Formations chez Partelya Consulting.

Pour recevoir le livre blanc « Paiement & inclusion numérique : état de l’art » publié par Partelya Consulting en septembre 2023, contactez [email protected].